De 1961 à 1988, le train baptisé « le Capitole » reliait Toulouse et Paris en 5h50 via Cahors, Brive, Limoges, Châteauroux, Orléans. En 2025, le même parcours requiert 7h30. Celle ligne baptisée POLT et la ligne parallèle qui se dirige vers Clermont-Ferrand sont le symbole d’une dégradation d’un service et d’un délaissement du réseau ferroviaire.
« Inacceptable », « intolérable », « anachronique »… Le mardi 15 avril ces mots traduisent la colère des élus des territoires isolés du massif central qui ont pris place dans deux trains de « la colère et de la dignité ». Ils les ont affrétés pour porter à Paris la parole de territoires « délaissés par la République ». De Clermont-Ferrand ou de Cahors, points de départ des deux trains qui convergent à Vierzon sur la ligne POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse) se répand le même sentiment de relégation. D’être pris pour « des citoyens de seconde zone », résume Jean-Marc Vayssouze, sénateur PS du Lot et ancien maire de Cahors : « La ligne POLT est essentielle pour nos territoires, martèle le parlementaire lotois. Le train est le moyen de transport de demain : il répond aux enjeux écologiques et économiques ».
Les lignes POLT (plus de 700 km de voie ferrée) et Clermont-Paris (420 km) transportent respectivement 2,6 et 1,9 millions de voyageurs chaque année dans des trains Intercités.
Plus de 300 citoyens et élus des régions Occitanie, Nouvelle Aquitaine ou Centre Val de Loire et Auvergne Rhône Alpes sont donc « montés » à la capitale pour demander des perspectives raisonnables d’amélioration du service ferroviaire.
Depuis des années, le constat s’avère en effet accablant : trains supprimés, retards récurrents, matériels obsolètes. La liaison avec Paris depuis ces territoires du sud ouest et du massif central deviendrait-elle un train fantôme ?
Usagers et élus font ainsi cause commune pour tenter de faire bouger les lignes. Les associations Urgences ligne POLT, et Tous ensemble pour les gares multiplient les interventions et interpellations appuyées par les élus locaux.
Marie Piqué, conseillère régionale PC de la région Occitanie, partage ce combat depuis années.
Echarpe d’élue bien accrochée sur son épaule, elle était évidemment dans le train au départ de Cahors le 15 avril : « Je suis en colère comme tous mes amis. Ce train historique, il faut le préserver. Je demande à la SNCF pourquoi tant de retards, de trains supprimés sans raison, de voies en mauvais état. Ce mépris est insupportable. Il faut redonner un avenir à ce train. L’Etat et la SNCF doivent tenir leurs promesses. J’ajoute que la ligne POLT est complémentaire de la Ligne à Grande Vitesse. La région Occitanie soutient les deux » .
Attentif, le très impliqué Jean-Noël Boisseleau, expert ferroviaire installé à Cahors et vice-président de de l’association urgence Ligne POLT, n’en finit plus de répéter ses arguments : « J’éprouve, et d’autres avec moi, un vrai sentiment de ras-le-bol. On en est à la 4e génération de TGV et nous, on nous met du matériel des années 1970 avec des locomotives en bout de vie. Les nouvelles rames qui devaient être en place début 2025 ne seront livrées qu’en 2027 . Il faut accélérer la régénération de la ligne et la moderniser ».
Les élus du Nord de l’Occitanie, d’Auvergne, du Limousin, du Centre Val de Loire se sont rendus au ministère des Transports pour porter ce message. Las ! Le ministre des Transports, Philippe Tabarot, était excusé et il a fait recevoir la délégation par des collaborateurs : « Nous ne pouvons passer sous silence le profond mépris ressenti par l’ensemble des élus présents qui n’ont pas été reçus par le ministre des Transports, en dépit de leur mobilisation, de leur déplacement, de leur légitimité démocratique. Refuser d’écouter les élus de la République, c’est refuser d’entendre la voix des territoires. Je demande au Ministre de venir nous rencontrer dans le Lot », a ainsi tancé Jean-Marc Vayssouze.
Olivier Bianchi, maire PS de Clermont-Ferrand, était en première ligne de cette mobilisation massive qui fera date : « Cette grande mobilisation des territoires vise à alerter la population sur l’état de ces deux lignes sinistrées et à obtenir des engagements fermes de l’État pour assurer des investissements durables et urgents. Sans ces investissements vitaux, sans une desserte fiable et ponctuelle une réduction significative du temps de parcours, ne sera pas possible. Cette action collective est le fruit de plusieurs années de lobbying et de sensibilisation. Elle marque un tournant dans le combat mené pour la desserte ferroviaire des territoires du Massif central et dénoncer des décennies de sous-investissement et de négligence, ayant conduit à une situation devenue intolérable pour les usagers ».
Leurs revendications consignées au nom de leurs administrés dans un livre blanc, assorties d’une pétition, visent à l’obtention d’engagements forts et rapides de l’État et de la SNCF afin d’améliorer les trajets quotidiens des passagers avec du matériel en état de fonctionnement. Tous ont exigé à l’unanimité « une égalité du service de transport dans le pays, une ligne à la hauteur qui possède le confort, la vitesse et la régularité des dessertes, que ce soit de jour comme de nuit ».
Pour Carole Delga, « cette ligne souffre d’un désengagement historique de l’État alors que la Région Occitanie s’engage pour investir plus de 20 millions d’euros aux côtés de l’État pour les gares de Souillac, Gourdon et Cahors. C’est cohérent avec notre politique ambitieuse de développement du transport ferroviaire : nous savons tous que le défi climatique passe par des investissements massifs sur le train ».
Cette colère n’est pas seulement celle de passagers laissés à quai. C’est la promesse républicaine d’égalité, de services publics performants, de décarbonation des déplacements qui file sous le nez de territoires enclavés. A l’allure d’un train lancé qu’on ne pourrait plus arrêter…